top of page

 le projet 

221-4, 2° est une réécriture du mythe, avec ceci de particulier que c'est un travail qui prend place en collaboration avec un auteur, un metteur en scène, des comédiens et des artistes plasticiens, l'idée étant d'effectuer un aller-retour entre écriture et sessions collectives, pour que chacun se nourrisse du travail des autres.

L'auteure nous dit...

Un des points de départ de ce projet d’écriture dramatique est mon étonnement sans cesse renouvelé face à la confusion qui paraît régner, dans notre société contemporaine, entre le mot « enfant » et le mot « mineur ». Ainsi, quand on s’inquiète du sort des enfants, on s’intéresse en réalité aux mineurs, aux petits humains qui ont besoin d’une protection spécifique en raison de leur vulnérabilité. En parallèle, c’est comme si nous avions oublié qu’être enfant est aussi une position généalogique qu’on ne quitte jamais : même majeur, même adulte, même très âgé, on est toujours le fils ou la fille de ses parents. Or la place des enfants adultes et le lien qui les unit à leurs père et mère est renvoyé au privé, à l’intersubjectif, à la psychologie ou à la psychanalyse. Avoir des problèmes avec ses parents passe pour une affaire personnelle, une difficulté à résoudre sur un divan plutôt que sur la place publique. Pourtant, ce que nous enseignent précisément les tragédies antiques, c’est que les relations familiales entre adultes ne sont pas de simples problèmes personnels, mais posent la question de ce qui est contraire ou conforme à l’ordre public, à la morale, au droit et à la justice. L’histoire d’Électre, qui tue sa mère Clytemnestre pour venger le meurtre de son père Agamemnon, nous rappelle en particulier qu’un matricide n’est pas la même chose qu’un homicide simple. Ce principe est d’ailleurs toujours inscrit dans notre droit contemporain. En effet, l’article 221-4, 2°, du Code pénal français, qui donne son titre à la pièce, énonce qu’en cas de meurtre, la peine encourue est aggravée si la victime est le père ou la mère du meurtrier. En d’autres termes, il est plus grave de tuer sa mère plutôt que sa voisine, son charcutier ou un inconnu dans la rue. Cependant, il est probablement aussi beaucoup plus fréquent de songer à tuer sa mère plutôt que sa voisine, son charcutier ou un inconnu dans la rue. En un mot, le matricide est un projet à la fois courant et banal, et à la fois extraordinairement grave et troublant. C’est cette double dimension dont j’ai voulu me saisir à travers une réécriture du mythe d’Électre. Plus précisément, j’ai voulu interroger à travers l’écriture toutes les bonnes raisons qui peuvent être à la source du meurtre d’une mère. J’entends par « bonnes raisons » des motifs qui, s’ils sont susceptibles d’êtres excessifs ou surprenants dans leur expression, n’en renvoient pas moins à de grands principes de justice et sont donc aussi pourvus d’une forme de légitimité et de rationalité. Ma première source d’inspiration a été la version de Sophocle, qui est le seul à donner à Électre une sœur, Chrysothémis. D’une certaine manière, j’ai voulu développer ce que Sophocle a esquissé : le fait qu’à partir d’une même position structurelle, il existe plusieurs façons de s’inscrire dans une relation de filiation troublée, perturbée, encombrée par une faute grave de la mère. Puisant ensuite dans d’autres versions d’Électre, tout en m’intéressant également aux travaux universitaires existant sur le sujet, j’ai progressivement construit quatre personnages, qui incarnent autant de modalités de la relation à la mère et proposent autant de réponses à la question du bien-fondé du matricide. Ces personnages, je les rêve loufoques, excessifs, borderlines, baroques. Cependant, s’ils sont tous fous à leur manière, leur folie est rigoureuse, portée par une logique à laquelle je voudrais qu’on se surprenne à adhérer. La matière de cette pièce est constituée du choc entre les arguments, de disputes concernant l’acte matricide. L’action se loge donc essentiellement dans les affrontements discursifs : ce sont les actes de parole qui structurent et font vivre la dramaturgie. L’histoire quant à elle est plutôt une méta-histoire, qui joue avec les références au mythe et avec les codes du théâtre. Concernant l’écriture, je m’attache à mettre sur pied un texte qui soit inlassablement dense, percutant, drôle et terriblement sérieux à la fois. Ce travail formel n’est pas encore terminé, et c’est un choix : le manuscrit actuel est une base, une version volontairement non aboutie. En effet, dès son origine, mon souhait était de travailler par allers et retours entre répétitions et réécriture : auteure de deux romans, j’ai toujours été convaincue que je ne devais pas, que je n’avais pas le droit d’écrire pour le théâtre en-dehors d’une collaboration avec un metteur en scène et des comédiens. Il me semble crucial qu’un texte dramatique soit mis à l’épreuve du plateau, qu’il s’enrichisse des répétitions, des essais, des tâtonnements, des réflexions qui naissent sur et autour de la scène. Dans ce contexte, ce projet d’écriture n’est pas seulement le mien, mais aussi celui de toute une compagnie. Au sein de cette compagnie, mon rôle, ma mission, c’est de réécrire et d’affiner jusqu’au moment où je pourrai affirmer en toute honnêteté : je ne peux pas faire mieux.

bottom of page